Patrimoine
– Cette année, la croissance en France ne devrait pas dépasser 1 %, contraignant le gouvernement à revoir ses prévisions à la baisse et à procéder à une annulation de crédits pour un montant de dix milliards d’euros afin de respecter – autant que possible – l’objectif de 4,4 % du PIB de déficit public.

Le ralentissement de la croissance est imputé à la hausse des taux d’intérêt bien que les taux actuels ne
diffèrent guère de ceux pratiqués les années précédant la crise de 2008/2009. Par ailleurs, comme la majorité des pays européens, la France ne fait que renouer avec la croissance lente qui les caractérisait avant la survenue de l’épidémie de covid-19, y compris sur la période 2015-2020 marquée par des taux directeurs nuls voire négatifs
en zone euro.

L’Europe est confrontée à une stagnation depuis une décennie, stagnation de nature avant tout structurelle.
La croissance économique repose sur plusieurs piliers : l’énergie, le travail, le capital et le progrès technique. En Europe, trois au moins de ces piliers sont défaillants.

Avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la hausse des cours des hydrocarbures, l’Europe et, en premier lieu, ses États industriels ont perdu en compétitivité. La transition écologique impose de substituer aux énergies carbonées des énergies renouvelables qui, en l’état actuel des techniques, sont plus coûteuses. Le travail, facteur clef dans l’accroissement de l’activité, devient de plus en plus rare avec le déclin de la population active sur fond de vieillissement démographique.

Les périodes de croissance interviennent en règle générale quand la proportion des 25/40 ans est
importante. Le capital permet de démultiplier la force du facteur de travail en l’agrégeant et en rationalisant les processus de production. La révolution industrielle est avant tout la combinaison réussie du capital et du travail. Le premier facilite les investissements sur longue période et une large diffusion des biens et des services
produits.

En Europe, l’épargne est abondante, ce qui est logiquement favorable à l’accumulation du capital. Cependant, les placements privilégiés par européens ont tendance à peu profiter aux entreprises. En Europe, l’épargne est affectée avant tout au financement des dépenses courantes des administrations publiques.

Par ailleurs, ces dernières années, une part non négligeable de cette épargne a été placée à l’étranger. La combinaison capital-travail a besoin d’un autre élément difficile à cerner mais indispensable : le progrès technique.

Celui-ci prend la forme de gains de productivité et de nouveaux produits ou services. La croissance est, en effet, une course permanente à l’efficience, à la meilleure utilisation possible des ressources rares.

Plus largement, la croissance dépend de l’innovation qui structure tant l’offre que la demande. Elle répond à de nouveaux besoins autant qu’elle crée ces derniers.
Elle est le moteur de la destruction créatrice chère à Schumpeter. Or, en Europe et en France, tout particulièrement, la productivité décline depuis près de sept ans. Les raisons de cet inquiétant recul sont multiples : insuffisance de la recherche et développement, vieillissement de la population, moindre appétence au progrès technique, changement du rapport au travail. L’innovation, par ailleurs, mobiliserait des montants plus importants de capitaux que les entreprises européennes peinent à attirer.

En l’absence de gains de productivité, avec l’attrition de la population et un déficit de capital productif, la croissance ne peut être que faible. Les autorités allemandes en sont convaincues au point d’avoir prévu que la croissance ne dépassera pas 0,5 % par an Outre-Rhin jusqu’en 2028.

La faible croissance ou la décroissance est un enfer car antinomique de l’économie contemporaine. Avec une soif légitime à l’égalité et une augmentation rapide du nombre de retraités, les besoins à combler en Europe sont importants. Ils le sont encore plus à l’échelle mondiale. La population française a toujours comme référence
une croissance de 3 % générant d’importants gains de pouvoir d’achat. En son@absence, les pouvoirs publics ont accru les dépenses publiques depuis quarante ans, et en premier lieu celles de nature sociale au prix d’un déficit et d’un endettement croissants.

Les politiques keynésiennes ont été détournées de leur objet pour devenir des béquilles économiques permanentes. Initialement, elles devaient simplement permettre, de manière temporaire, de relancer une demande défaillante, le surcroît de croissance ainsi généré permettant de les financer. Or, la mise sous respiration artificielle permanente de l’économie ne peut que conduire à des problèmes de financement. Dans l’histoire économique, de l’Antiquité à la Grève en 2012 en passant par la France de 1797, aucun pays ne peut soustraire indéfiniment au respect des règles financières.

Un cycle d’endettement qui ne génère pas de croissance pose à un moment ou un autre problème. Pour certains, la réponse passe par une augmentation des prélèvements obligatoires et notamment de ceux des plus aisés. La progression de la valorisation des actifs financiers et immobiliers suscite des convoitises d’autant plus que, dans un certain nombre de cas, le recours à des montages fiscaux permet à certains contribuables d’échapper en partie à l’impôt.

En la matière, les amalgames sont nombreux. Les évaluations de marché d’un capital sont assimilées, à tort, à des
enrichissements ou à des revenus. Taxer des plus-values non réalisées des milliardaires ferait sans nul doute plaisir à de nombreuses personnes mais ne changerait pas la donne pour les finances publiques. Cela réduirait, en revanche, le volume de capital des pays qui pratiqueraient de la sorte.

Avec un taux de prélèvements de 45 % du PIB, les marges de manœuvre de la France sont faibles.
Toute augmentation suscite l’ire des contribuables et oblige les gouvernements à instituer des dérogations. Or, un système fiscal équitable est celui qui impose selon des règles connues et compréhensibles de tous, des plus modestes aux plus aisés. Il se doit d’être le plus neutre possible sur le plan économique, ce qui signifie l’absence, autant que faire se peut, des dispositifs exorbitants du droit commun qui prennent la forme de niches fiscales.

L’autre voie possible pour équilibrer les comptes publics serait la réalisation d’économies. Or, en la matière, cette voie est remplie d’épines.

Toute décision de réduction d’une dépense constitue un véritable chemin de croix, comme l’avaient prouvé les polémiques sur le passage à un euro de la franchise médicale ou la réduction de cinq euros de l’Aide personnalisée au logement (APL).

La stagnation séculaire ne peut pas être acceptée comme une fatalité car elle se transformerait rapidement en régression et pourrait provoquer des tensions tant entre les États qu’en leur sein. Pour échapper à cette malédiction, les solutions passent notamment par un effort accru en matière de formation et de recherche, par
l’amélioration de la culture scientifique pour développer une plus grande ouverture au progrès technique accompagnée de l’abandon des pratiques malthusiennes, par la création d’un vaste marché unifié des capitaux en Europe, et par la restauration de la confiance.

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